La revue européenne de soins palliatifs ( European Journal of Palliative Care ( EJPC)) m’a demandé en 1998 d’écrire un article pour résumer et présenter ce travail effectué pour mon diplôme dplg.
Voici l’article, qui est toujours d’actualité… Le monde fini heureusement par bouger: le centre d’information danois sur les soins palliatifs vient de mettre en place un site destiné aux architectes et aux concepteurs. Ce site évoluera a terme, si les budgets le permettent, vers une base de donnée permettant de collecter, trier et donner a voir à tous ce qui est fait/ peut etre fait dans le domaine architectural et permettre ainsi d’éviter les erreurs pour améliorer la prise en charge en soins palliatifs, mais également in fine, de participer à l’évolution globale nécessaire de l’hopital tout entier.
« Soins palliatifs et architecture: de l’hopital vers l’homme. – European Journal of Palliative Care, vol 5 numero 4, juillet / aout 1998.
En 1987, l’Assistance Publique lance en concours intitulé ‘Lieux de fin de vie’.
C’est en examinant les résultats que j’ai pris conscience de ce qui était en train de changer, à la fois dans la conception de l’hôpital et dans la prise en charge des malades, et je me suis passionné pour ce sujet. Un architecte peut-il contribuer à faire progresser la prise en charge des malades, en particulier dans le domaine des soins palliatifs? Cette question que je me suis posée au long de mes études d’architecte a abouti, en septembre 1995 à un projet de diplôme sur le site de l’hôpital Laênnec à Paris.
Mon projet de centre de soins palliatifs se base sur différentes hypothèses qui découlent de cette recherche et sur l’observation que j’ai pu avoir de lieux de soins palliatifs en France et ailleurs. Ce sont ces hypothèses qui sont présentées ici.
Rendre les unités de soins palliatifs plus agréables.
Dès leur apparition les soins palliatifs ont montré l’importance du cadre dans lequel ils sont dispensés. Ces lieux nouveaux que sont les USP sont des endroits à part dans l’hôpital par les nombreuses qualités qu’elles apportent. Tout y a évolué pour répondre à la détresse des malades et de ceux qui les entourent. Les soins palliatifs sont potentiellement réformateurs de tout l’hôpital car ils apportent en effet des changements dans la façon de concevoir l’hôpital curatif.
Apporter le domicile et la société dans l’USP. Les acquis qu’apportent les unités de soins palliatifs doivent être utilisés par l’hôpital, à la fin de vie qui dans la majorité des cas a lieu à l’extérieur du domicile. Le décès ayant lieu hors du domicile est assimilable dans notre société à un décès en dehors de la société, car la mort en milieu hospitalier reste honteuse malgré les USP. Le malade en fin de vie doit donc trouver dans le lieu qui l’accueille (USP ou hôpital) une image de la société ainsi que l’idée de la maison désormais inaccessible. L’idée ou l’image de la maison doit entrer dans l’hôpital pour répondre à l’absence d’humanité des lieux de soins. Ce n’est bien sûr pas l’aspect vernaculaire de la maison mais la suggestion des éléments fondamentaux qui la composent qu’il convient d’utiliser. La dilatation physique du seuil par exemple, permet de préserver l’intimité tout en hiérarchisant les rapports entre intérieur de la chambre et intérieur de l’hôpital. Une chambre avec vue.
La perception du monde extérieur à l’hôpital est également primordiale et il paraît souhaitable d’offrir deux possibilités: l’une est la vue sur un extérieur calme, un morceau de nature comme un paysage, l’autre est la vision de l’activité urbaine, de la vie qui continue en somme. Le problème de cette perception du monde extérieur, c’est qu’elle est en opposition avec la fin de vie qui est condamnée par la société à être cachée car presque obscène. Les valeurs superficielles que prône notre société sont incompatible avec la fin de vie, la douleur, la détresse, la mort. Mettre en rapport direct le malade et cette société qui refuse de l’écouter est impossible si on respecte le malade.
C’est pour cette raison qu’il paraît important de transcender cette société et la faire pénétrer autrement dans l’univers de celui-ci. C’est le bénévole, la famille, les soignants qui représentent la société dans l’USP, une société qui a évolué et qui est capable d’aller vers l’autre. Un lieu de circulation et de rassemblement interne à l’USP, qui reprendrait les fonctions de la rue urbaine est à mon avis à même d’apporter le lien manquant entre le malade et la société. Recréer, par le biais d’une rue ou d’une succession de placettes, la vie extérieure et y faire communiquer, grâce à une fenêtre et une porte, la chambre du malade permet d’améliorer de façon conséquente la vie de l’USP.
Créer un ‘chez soi’
La chambre ainsi ouverte ou fermée y puise un statut de maison rattachée à un individu particulier. Ici les autres représentent la société et la rue intérieure la vie extérieure. La chambre représente l’individualité du patient et permet une certaine intimité dans sa maison.
Se tourner vers l’avenir.
En ce qui concerne la programmation des USP, on constate une assez grande similitude des fonctions entre les divers projets réalisés, qui offrent tous à leur mesure des espaces aux familles et aux accompagnants. L’unité de soins palliatifs est un monde semi-clos, souvent replié sur lui-même, qui provoque à la longue cet épuisement affectif ou ‘burn out’ qui touche les acteurs des soins palliatifs. Confronté journellement à la détresse et à la mort, les soignants et les bénévoles doivent chaque jour réapprendre à accompagner et à soigner. Pourtant ce réapprentissage sans but tourné vers l’avenir semble voué à l’épuisement et à la routine. Des centres de recherche et d’enseignement. Un projet tourné vers l’avenir qui jalonnerait et justifierait autrement le travail de ceux qui accompagnent, doit être envisagé dans l’USP ou l’hôpital. Un projet de recherche et d’enseignement, clinique, éthique et même architectural ou artisanal, peut valoriser durablement le travail des soignants.
Dépasser la mort par un but afin de toujours mieux accompagner peut apporter aux soignants et aux bénévoles un sentiment de réussite et se traduire directement en qualité d’accompagnement pour les malades. Il faut pour cela des lieux de recherche et d’enseignement adaptés, au sein même de l’hôpital. En terme de programme, cela peut se traduire en salles de cours et de conférence, en bibliothèque spécialisée dans le domaine éthique, médical, architectural.
Un centre de documentation.
Enfin, il semble qu’un centre de documentation comme celui du St Christopher’s hospice à Londres, centralisant pour la France l’ensemble des données architecturales concernant les lieux de fin de vie, pourrait permettre de connaître la situation actuelle de façon précise. Les projets D’USP réalisés à l’étranger et en France pourraient y être archivés sous forme de plans, photos, vidéos, site internet, facilitant ainsi la transmission des acquis architecturaux aux concepteurs éventuels futurs. Par ailleurs, l’insuffisance de la réflexion dans le domaine du design et du mobilier destiné au milieu hospitalier montre qu’il est nécessaire d’aller de l’avant ici aussi. Il faut permettre aux concepteurs, aux créateurs et aux artisans de pouvoir travailler en liaison directe avec les utilisateurs des lieux de fin de vie et pour cela leur donner des lieux de travail.
Conclusion.
Enfin, la question du temps doit être prise en compte. Le bâtiment hospitalier évolue surtout dans la partie technique de ses services de pointe. Il faudrait prendre désormais en compte dans la partie dite d’hébergement des malades, l’évolution des mentalités et de la société vis à vis des soins. Cette évolution se traduit dans les USP par l’apparition des lits d’appoint dans les chambres, et des salons et cuisines pour les accompagnants, mais cela pose souvent des problèmes de mise en oeuvre dans les cas de réhabilitation de bâtiments existants. Une partie de l’USP doit pouvoir prendre en compte spatialement l’inconnue qu’est l’avenir, afin d pouvoir s’adapter aux nouvelles exigences des malades de demain.
Remerciements
Ce travail n’aurait pas vu le jour sans l’aide de nombreux acteurs des soins palliatifs français et étrangers, en particulier le Dr Henri Delbecque et l’architecte Robert Prost, qu’ils en soient remerciés.
Nils Degrémont, architecte, Paris, France . Mars 1998. »